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25 septembre 2020

Au revoir maestro

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Roger Carel n’est plus mais ses voix vont continuer de raisonner pour longtemps. 
Une carrière incroyable, des talents multiples, l’acteur a prêté sa voix à des personnages dans plus d’une quarantaine de Disney, de très nombreuses séries, films, jeux vidéos…
Petit hommage avec la publication d’une interview diffusée en 2009, pour la sortie en DVD du Muppet Show. Roger Carel, accompagné de son acolyte Micheline Dax, répondait alors à quelques questions sur sa carrière et le doublage.

Qu’évoque pour vous le Muppet Show ?

R.C. : Une bonne humeur permanente dans le travail. Tout a commencé grâce à Michel Salva, patron d’une société de doublage. Il a réuni Micheline, Gérard Hernandez, Pierre Tornade, Francis Lax et moi pour nous parler de ce programme qui faisait un carton en Angleterre. Il ignorait comment l’émission serait accueillie en France. On lui a proposé de tenter le coup sur deux ou trois épisodes. Antenne 2 a adoré. D’autant plus quand l’audience a explosé. 
On jouait chacun une dizaine de personnages. Les deux vieux critiques, c’était Pierre Tornade et Gérard Hernandez – qui, eux aussi, prêtaient leur voix à des tas d’autres marionnettes.

D’où tenez-vous ce don de jongler avec les intonations ?

R.C. : J’ai passé ma jeunesse dans une institution extrêmement sévère où il était interdit de parler, sauf dans la cour de récréation. J’écoutais donc attentivement mes professeurs, puis je me défoulais en les imitant. C’était inné. Quand je racontais à mes copains le film vu le dimanche avec mes parents au cinéma, je jouais tous les rôles avec les voix correspondantes. Cela dit, je suis moins dans l’imitation que dans l’illustration. Par exemple, quand on me propose un nouveau personnage animé, je demande toujours à voir son graphisme avant, qui m’inspirera l’inflexion vocale à prendre.

Comment se déroulait l’adaptation française du Muppet Show ?

R.C. : C’était le gros écueil de l’entreprise. Le même que sur Benny Hill, d’ailleurs. Ces programmes évoquent des personnalités inconnues du public français et sont truffés de jeux de mots typiquement anglo-saxons. On devait constamment trouver des équivalences. Michel Salva travaillait dessus, mais, si on proposait mieux, il nous laissait carte blanche.

On évoque souvent une espèce de mafia du doublage, un milieu très cloisonné…

R.C. : Parce que beaucoup d’interprètes qui ne faisaient que cela étaient mis au ban du cinéma et de la télévision, dont les vedettes ont longtemps craché sur notre métier. Depuis, prenant modèle sur les Américains, elles ont tourné casaque – regardez les affiches des dessins animés ! – et cette fausse réputation mafieuse s’est atténuée.

Vous parlez de mise au ban, mais vous deux avez beaucoup travaillé au cinéma…

R.C. : On est issu d’une génération peu feignante : en une journée, on passait d’un studio d’enregistrement à un plateau de cinéma ou de télé (parfois les deux). Le soir, on était au cabaret ou au théâtre. 
Du coup, on ne se couchait pas avant 3 heures du matin. Et, à 9 heures, on était à pied d’oeuvre. Nous avons la chance de ne jamais avoir connu le chômage. On est de la vieille école, de celle où on a toujours été heureux de faire ce boulot. J’en soupçonne aujourd’hui, parmi les plus jeunes, de ne pas y prendre autant de plaisir.

Vous êtes extrêmement populaire, sans pour autant être une tête d’affiche. Votre ego en souffre-t-il ?

R.C. : Etre doubleur, c’est le contraire du métier d’acteur. Vous devez oublier ce que vous savez faire. Il n’est pas question, comme au théâtre ou au cinéma, de mettre un rôle à votre mesure. Vous devez reproduire honnêtement le travail d’un autre. J’ai toujours pris cela comme un jeu.

Un jeu à prendre au sérieux, quand vous travaillez avec Stanley Kubrick…

R.C. : Et comment ! Pour le doublage d’Orange mécanique et de Barry Lyndon, une charmante Anglaise était en studio, avec un combiné au bout du bras: Kubrick suivait l’enregistrement par téléphone et nous donnait ses directives.

Comment expliquez-vous, depuis quelques années, la baisse de qualité des doublages, notamment pour les séries ?

R.C. : Avant, on travaillait beaucoup plus lentement, avec une certaine exigence. Et puis, techniquement, c’était du travail d’orfèvre. Il y avait les boucles: des petits tronçons de film agrémentés de trois bandes, l’une pour l’image, l’autre pour le son, la troisième pour la bande rythmo – où défile le texte à dire. Aujourd’hui, avec le numérique, le film est projeté d’une traite, avec tous les dialogues à lire. En deux jours, le travail doit être plié. Sauf sur les grosses productions. Harry Potter et le prince de Sang-Mêlé, où je double Michael Gambon [dans le rôle du Pr Dumbledore], c’est plus d’une semaine. Pareil pour un Walt Disney.

La télé n’a-t-elle pas, paradoxalement, desservi votre carrière cinématographique ?

R.C. : Il faut vivre avec son temps. Le câble, Internet et le reste s’inscrivent dans une évolution logique du spectacle. Je suis bercé par des souvenirs délicieux, mais je n’oublie jamais que c’est le passé. Ce n’est ni l’âge ni le manque de travail qui nous arrêteront. Mais la vie.


Source : lexpress.fr

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